Egan Varley écrit à Cyrano de Bergerac
Amour
Cher Maître,
Comme Christian hélas le courage me manque pour séduire ma belle. Auriez-vous quelque recette pour conter fleurette avec grâce?
Christian de Neuvillette, amant infortuné
A pu, si j’ose dire, m’ôter les vers du nez
Pour vaincre galamment la douce forteresse
De la belle Roxane qu’il voulait pour maîtresse.
Mais si j’offris ma verve à ses tendres assauts
La raison n’était point que je le jugeais sot.
Si je trouvai les mots pour faire chavirer
L’esquif des yeux d’opale de l’amie désirée
Remplaçant le désir par de l’abnégation
C’est que mon amour fut plus fort que ma passion.
Je voulais qu’en secret ce fut un peu de moi
Qui retourna ce cœur et le tint en émoi
Qu’à ma place Christian dise pour la séduire
Ce que mon nez trop long m’empêchait de lui dire.
Pour tout cela Patrick, il faut que je vous dise
Que je ne connais pas de recette précise
Pour bien accommoder les discours amoureux,
Et pouvoir à coup sûr les rendre savoureux,
Si ce n’est qu’à loisir saupoudrer tour à tour
Une pincée d’esprit, une pincée d’amour.
Pour qu’ici je vous livre des lignes toutes faites
Pour monter à l’assaut sans risque de défaite
Il faudrait que mon cœur brûle pour votre belle
Et que déjà les cornes pointent sous votre ombrelle
Or ce n’est pas mon but, la différence d’âge
(Presque quatre cents ans) freine un peu mon ramage
Et de plus le respect qu’on doit –dit Du Montay-
A nos correspondants interdit de monter
Dessus leurs plates-bandes fussent-elles amoureuses,
D’autant plus que ma botte les rendrait douloureuses.
Pourtant, étant un peu fanfaron et cabot,
Cédant au vil plaisir de gonfler mon jabot,
Et quitte à faire accroire que je radote aussi
Je ne résiste pas à répéter ici
Ce couplet bien troussé que je tournai jadis
Au balcon de Roxane,
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte III, scène 10
Le baiser:
« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le cœur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme! »
Parlez, faites des mots, pour séduire la dame,
Cherchez en votre cœur la délicate clef
Mais ne forcez pas trop la porte s’il vous plait.
On risque un coup de sang quand le sang est trop chaud
Car il est de nos femmes comme des artichauts
Avant que d’embrasser la main fine ou le bras
Commencez par le cœur et le reste suivra.
Signé : Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac,
Grand riposteur du tac au tac.
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Amant aussi pas pour son bien.
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